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Quatre brèves observations sur le projet de loi constitutionnelle portant « modernisation des institutions

Le projet de loi constitutionnelle sur la modernisation des institutions frappe par le recours abondant qu'il fait au renvoi au profit du législateur organique. Une recherche sur la version PDF du projet, tel qu'adopté par l'Assemblée Nationale (en voie d'adoption serait plus exact puisque le vote solennel aura lieu le 3 juin 2008) laisse apparaître 14 occurrences du terme « loi organique ». Ceci est à comparer avec les 35 occurrences du même terme qui apparaissent dans la version actuelle de notre texte constitutionnel (et encore plus de la moitié d'entre elles sont issues de révisions constitutionnelles relativement récentes).
 
Ce développement quantitatif manifeste le succès d'un outil, la loi organique, qui a été sinon créé, du moins institutionnalisé par la Constitution de 1958. Il est de toute évidence le signe d'un développement qualitatif qu'une analyse plus précise du projet de loi constitutionnelle permet de mieux caractériser comme pour la loi EGALIM.
 
La loi organique est en effet sollicitée pour assurer la mise en œuvre des régimes nouveaux aussi importants que :

・    l'organisation du référendum abrogatif (art 3 du projet) ;
・    la liste des emplois pour lesquels le pouvoir de nomination du Président est soumis à un avis préalable ;
・    l'organisation de la délibération des projets de loi ;
・    l'organisation du droit d'amendement ;
・    l'organisation de l'exception d'inconstitutionnalité ;
・    la pétition permettant de saisir le conseil économique social et environnemental ;
・    l'organisation du « défenseur des droits des citoyens ».

Autant dire que la plus grande partie des mesures importantes du projet supposent une loi organique préalablement à leur entrée en vigueur.

On observera encore que certaines formulations faisant référence à l'intervention d'une loi organique sont nouvelles. Il en va ainsi de l'article relatif à l'exception d'inconstitutionnalité qui dispose que : « Une loi organique détermine les conditions et réserves d’application du présent article ». cette formulation ne semble pas anodine, même si elle est peu claire. Elle semble laisser à penser que c'est au Législateur organique que reviendra le soin de déterminer le champ d'application de cette exception.

Le recours à la loi organique procède d'une rationalité légistique de prime abord peu contestable : il est inutile d'alourdir la Constitution de dispositions d'application qui en obscurciraient le sens général. Le recours à l a loi organique s'inscrit ainsi dans le mouvement de la « clarté de la loi » dont on sait qu'il est conçu par tous les pouvoirs politiques et juridiques comme un des fondements perdus de notre ordre juridique qu'il conviendrait de restaurer.

De surcroît, le recours à la loi organique permet également, dans des conditions moins contraignantes que celles requises pour réviser la Constitution, d'adapter les modalités d'application d'une disposition constitutionnelle à des contraintes nouvelles. Supposons par exemple que l'on crée demain un nouvel emploi dans la haute fonction publique, si on voulait l'assujettir à la procédure de l'avis préalable au pouvoir présidentiel de nomination, il suffirait de modifier la loi organique et il serait inutile de recourir à une révision constitutionnelle.

On observera enfin que le recours à des lois organiques semble être une constante de toutes les constitutions françaises puisque cette idée avait déjà été suggérée en 1848, mise en œuvre dans les débuts de la 3e République, mentionnée dans la Constitution de 1946 (sans toutefois qu'un régime spécial y soit attaché) et qu'il semble aujourd'hui recueillir un assentiment général, comme le manifestent les débats autour du présent projet, qui ne contiennent aucune critique du procédé.

Si ces justifications ont une certaine force force, étayées encore qu'elles sont par ce consensus général, il nous semble pourtant que le développement croissant du recours à la loi organique est en train de modifier la nature de cet instrument et qu'il manifeste la remise en cause d'un certain nombre de principes fondateurs de notre ordre constitutionnel dans des conditions qui nous paraissent contestables.

La première, et la principale de ces critiques tient au fait que le recours accru à la loi organique participe d'une forme de « déconstitutionalisation » de notre ordre juridique.

La norme constitutionnelle qui prévoit le renvoi, et parfois les conditions dans lesquelles il intervient, au profit du législateur organique, opère, cela est aussi simple qu'incontestable, une habilitation au profit du législateur organique, pour édicter des normes matériellement constitutionnelles. Cette habilitation souffre, à notre sens, de trois vices essentiels que manifestent bien les présents débats.

- d'abord, elle prive les débats qui existent autour d'une révision constitutionnelle d'une partie importante de leur portée. Comment déterminer, à titre d'exemple, si l'on est favorable ou défavorable au mécanisme d'exception d'inconstitutionnalité mis en en place alors que les seules informations que nous fournit le projet tiennent au fait qu'il y aura un filtre préalable des Cours suprêmes judiciaires et administratives. Mais, sur la nature ce filtre, sur les conditions de son exercice, le projet est totalement silencieux. Pourtant, les débats sur le projet Badinter, ou plus récemment au sein de la commission Balladur, ont bien montré que les enjeux autour de cette question étaient majeurs pour déterminer quel type de dispositif on envisageait de créer.

Dans le cours des débats, on voit certes le représentant du gouvernement apporter des précisions sur la rédaction future de tel ou tel projet de loi organique, mais il n'en reste pas moins que les parlementaires sont amenés à faire des choix et à prendre des décisions qui ressemblent singulièrement à de chèques en blancs.


- ensuite, cette manière de procéder conduit à admettre qu'il y a deux ordres de dispositions constitutionnelles : celles qui ont pleine valeur constitutionnelle et celles qui, quoique constitutionnelles matériellement, sont remises entre les mains du législateur organique lequel disposera donc d'un véritable pouvoir constituant dérivé. On observera en outre à cet égard que les dispositions de l'article 46 de la Constitution n'assujettissent à aucune autre obligation que le contrôle de constitutionnalité préalable l'adoption d'une loi organique. Ainsi, au même titre que le règlement d'application d'une loi, la loi organique disposera d'une réelle marge d'appréciation par rapport à la norme constitutionnelle.

-Enfin, et peut-être même surtout, le pouvoir constituant dérivé ne dispose d'aucun pouvoir de contrôle sur l'opportunité de l'adoption d'une loi organique. Si demain le gouvernement décide de ne pas soumettre au Parlement l'adoption d'une loi organique, par exemple sur la liste des emplois devant être soumis à avis avant la nomination par le Président de la République, et bien ce pan de la réforme restera lettre morte.
 Au total, de manière générale le développement de la loi organique dans le champ du pouvoir de révision de la Constitution conduit à un indéniable affaiblissement de ce dernier. Où passe la limite entre ce qui est rendu nécessaire par des préoccupations d'ordre technique et ce qui résulte de la volonté de déroger à la rigidité de notre norme constitutionnelle, cela n'est pas aisé à établir. Mais il convient à tout le moins de ne pas considérer la loi organique comme la bonne à tout faire du droit constitutionnel dérivé.

Par ailleurs, et concernant le projet ici présenté, à ces défauts inhérents à la législation organique, s'en ajoutent d'autres, spécifiques et encore davantage critiquables.

Ainsi que nous l'avons évoqué plus haut, certaines des dispositions du projet renvoient à la loi organique non seulement le pouvoir de « préciser », les conditions ou les modalités d'exercice de telle ou telle disposition nouvelle, mais même de « déterminer les conditions et réserves d’application » (de l'article considéré), formulation retenue à proposition du « nouveau droit de pétition » ou de poser qu'un droit s'exercera « dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique », formulation retenue pour l'exception d'iconstitutionnalité. L'idée qu'une loi organique puisse poser des « réserves », à l'application d'une norme constitutionnelle est passablement perturbante.

Si l'on veut bien, pour un instant, ne pas tenir compte de l'argument rapide selon lequel le pouvoir constituant peut (presque) tout faire, force est de constater que nous nous trouvons ici dans une situation peu courante : c'est au législateur organique qu'il appartiendra de déterminer le champ d'application des droits posés, ou plus précisément de déterminer les exclusions à ce champ d'application. Pourtant, selon nous, lorsqu'un droit est posé constitutionnellement, deux éléments aussi importants l'un que l'autre et interdépendants au demeurant doivent définis : la détermination du contenu du droit considéré, mais aussi la détermination de son ou de ses titulaires. Car il n'y a de droits que rattachés à un sujet ou éventuellement à une chose.

Ainsi, le présent projet de loi, en ce qu'il confie au législateur organique le pouvoir de définir les « réserves » à la mise en œuvre de droits constitutionnellement garantis ajoute une étape de plus dans la déconstitutionnalisation du droit constitutionnel, une étape qui n'est ni nécessaire, ni même utile. Il serait donc particulièrement avisés de la part des parlementaires de revenir sur ces dispositions au cours des prochains débats relatifs à l'examen de ce projet de loi constitutionnelle.

Plus fondamentalement, il serait également avisé de réfléchir sur le développement de la législation organique qui prive le pouvoir constituant dérivé de la possibilité d'apprécier la portée des révisions constitutionnelles qu'il vote.

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