Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Fichier Edvige : un pas de plus vers la soft-dictature.

Après avoir lu les différents points de vue sur la question du fichier Edvige (et de sa cousine Cristina), j'ai eu du mal à me faire opinion precise sur le déblocage de code autoradio Renault et sur le contenu de ces fichiers, ou plus exactement, sur les modifications qu'ils emportaient par rapport aux versions précédentes de ce qu'il était convenu d'appeler le « fichier des RG ».

Après avoir lu les différents points de vue sur la question du fichier Edvige (et de sa cousine Cristina), j'ai eu du mal à me faire opinion precise sur le contenu de ces fichiers, ou plus exactement, sur les modifications qu'ils emportaient par rapport aux versions précédentes de ce qu'il était convenu d'appeler le « fichier des RG ».

Considérant qu'il était de la vocation originelle de ce blog d'essayer d'apporter quelques éclairages sinon dépassionnés, du moins plus structurés sur les questions d'actualité comprenant des aspects juridiques, j'ai essayé de reprendre les choses à la base. Et la présente note est le compte-rendu de cette recherche. Il ne faut donc pas essayer d'y retrouver un argumentaire cohérent en faveur d'une thèse ou d'une autre.

L'histoire, me semble-t-il, ne commence pas en 2008, avec l'adoption du décret précédé de l'avis de la CNIL et de l'avis sans doute largement favorable du Conseil d'Etat. Elle débute en réalité en 2002.

Il se produit en effet ici une conjonction de deux évènements : la volonté des services spéciaux, après les attentats du 11 septembre, d'obtenir les coudées plus franches dans la collecte et le recoupement du renseignement, et la nécessité de transposer dans notre droit interne la directive communautaire 95/46 CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel.

Et cette conjonction conduira, comme souvent, à un tour de passe passe visant à faire endosser par une supposée initiative communautaire ce qui est en réalité une initiative purement nationale.

La directive, en effet, laissait de côté ce qu'il est convenu d'appeler les « traitements de souveraineté », comprenant notamment les fichiers de type renseignement généraux. Mais, les parlementaires vont accepter la volonté gouvernementale de réduire les pouvoirs de la CNIL sur ces traitements de souveraineté. En effet, alors qu'auparavant ceux-ci nécessitaient unavis conforme de la CNIL – pour les non initiés cea signifie que si l'avis de la CNIL est défavorable, le texte ne peut pas être adopté – désormais un avis simple de la CNIL suffit.

Il faut d'ailleurs citer le rapport qui avait été fait en première lecture par le rapporteur qui occupe d'ailleurs désormais le siège de Président dela CNIl et qui justifie cette réduction de pouvoirs :

« Par ailleurs, les traitements dits de souveraineté ayant pour fins la sécurité, la sûreté publiques ou la défense nationale (article 26 modifié) seront désormais <mis en oeuvre par décret, après simple avis de la CNIL>. Pourront <donc être mis en oeuvre malgré un avis défavorable de la CNIL les fichiers de police, de justice, les fichiers comportant le numéro de sécurité sociale ou nécessitant sa consultation, ainsi que les interconnexions de fichiers nécessaires à l'établissement ou au recouvrement de l'impôt, c'est-à-dire des fichiers concernant la totalité ou la quasi-totalité de la population française.

La contrepartie sera la publication de l'avis de la CNIL, sauf disposition contraire expresse », et Alex Türk de conclure « La garantie des droits des personnes parait en fait renforcée par le projet de loi, tant d'un point de vue direct qu'indirecte ».

Prétendre qu'un avis simple de la CNIL protège mieux qu'un avis conforme face aux projets de ministère aussi attirés par les fichiers que l'intérieur ou la défense est, je pèse mes mots, une vaste plaisanterie et la présente affaire en est une illustration. Si l'ancienne procédure avait été maintenue, la CNIL aurait pu s'opposer refuser les partie du projet gouvernemental qu'elle critique, aujourd'hui, elle ne peut que les déplorer...

Il serait d'ailleurs intéressant que quelque journaliste sagace interroge M. Türk, sur le point de savoir si après l'épisode Edvige il est encore d'accord avec ses propos de 2003.

En tous les cas , il est clair que le « déverrouillage CNIL » a facilité les projets actuels.

Le deuxième constat qu'il faut faire est que le système actuel (c'est à dire celui issu du décret de 1991 sur lequel il sera revenu plus loin) fonctionne mal, en tous les du point de vue de la garantie des droits administrés.

Il y a pour cela un excellent observatoire : c'est le contentieux contre les refus d'accès aux  données ou de rectifications des données contenues dans les fichiers actuels, dont les résultats sont fidèlement relatés dans Legifrance.

Or, s'agissant de l'accès aux données des fichiers RG on constate dans la jurisprudence des taux d'annulation record des décisions ministérielles (au tour de 80 %, je ne connais aucune contentieux dans lequel l'administration soit autant censurée...). Autrement dit, la stratégie de l'administration est claire : refuser l'accès et ne l'accepter que sous la contrainte juridictionnelle. C'est dire que le nouveau projet confie des prérogatives supplémentaires à une administration qui utilise déjà ceux qu'elle détient en violation des droits et libertés reconnues aux administrés.

Selon moi, cette éventuelle augmentation des prérogatives de l'administration ( à supposer par ailleurs qu'elle soit fondée) n'aurait du se faire qu'en échange d'un renforcement des prérogatives de la CNIL et des droits des citoyens. Force est de constater que le décret est très loin de cette préoccupation, et qu'aucune velléité de faire évoluer la loi ne s'est manifestée.

Reste le troisième aspect, qui concerne le contenu du projet.

Il faut d'abord souligner que ce texte s'inscrit indéniablement dans une continuité : l'essentiel des informations qui seront collectées pouvaient déjà l'être soit sur la base du décret de 1991 soit même du premier décret autorisant un fichier « antiterrorisme » de 1982.

Mais, comme souvent, il faut veiller aux évolution imperceptibles, qui sont souvent plus profondes que les réformes supposées spectaculaires. Il faut encore veiller à ce que quelques mesures spectaculaires ne dissimulent pas des évolutions moins visibles mais plus lourdes.

Ici, me semble-t-il, il y a une mesure qui sert de chiffon rouge : c'est la collecte des données sur les mineurs jusqu'à 13 ans, alors qu'en réalité le risque de fichage des mineurs est somme toute assez limité.

En revanche, sont beaucoup plus préoccupantes certaines évolutions à la fois sur les motifs de  fichage et sur le contenu des fiches.

1 – Les motifs de fichage

En ce qui concerne  les motifs de fichage est apparemment maintenu le « triptyque» de 1991 : informations sur les « personnalités publiques » / individus ou groupes placés sous surveillance / enquêtes d'habilitations.

Si le premier de ces groupes connaît une « stabilité » des motifs de fichages, les deux autres connaissent une évolution importante.

A) Les enquêtes

D'abord, sur les habilitations. Le décret de 1991 était encore marqué par un contexte guerre froide et, en gros, visait à vérifier si les personnes habilitées aux différents secrets, ne présentaient pas de faiblesses.

Aujourd'hui, la rédaction est considérablement plus ouverte. Je la cite : « De permettre aux services de police d'exécuter les enquêtes administratives qui leur sont confiées en vertu des lois et règlements, pour déterminer si le comportement des personnes physiques ou morales intéressées est compatible avec l'exercice des fonctions ou des missions envisagées ». Il est vrai que la fin de la phrase « exercice de mission ou de fonctions », semble limiter le champ du texte aux fonctionnaires et aux entreprises travaillant pour la défense. Pour autant, on peut souligner que les « missions ou fonctions » ne sont pas nécessairement publiques ». Par exemple, est-ce que le candidat à un poste de responsabilité dans une association bénéficiant de financements publics ne pourrait pas être placé sous cette surveillance ? A mon sens ce serait tout à fait possible.



B) Les "troubles à l'ordre public".

Ensuite, en ce qui concerne les « personnes ou groupes sous surveillance » le texte de 2008 fait disparaître le recours à la violence comme motif de fichage, pour ne maintenir que le « risque de trouble à l'ordre public ». Il faut ici ne pas se payer de mots : l'objectif d'un fichier « renseignement » est toujours d'avoir un caractère préventif. Or, le recours à la violence ne peut être démontré qu'après un passage à l'acte. Ainsi, la prise en compte du « risque de trouble à l'ordre public » est presque indissociable de ce type de fichage, de telle sorte que la position qu'il convient de prendre est encore plus radicale : accepte-t-on, ou pas, la constitution de fichiers de cette nature. Pour ma part, j'ai tendance à penser qu'il vaut mieux les accepter, afin de pouvoir en assure le contrôle), plutôt que de les refuser et de constater qu'ils se développeront de manière clandestine ou privée.

Naturellement, le nœud du problème est alors l'efficacité du contrôle, il vaudra y revenir. Cf technique pomodoro



2 – Le contenu du fichage.

Si l'on veut analyser les choses de manière un peu approfondie, il faut constater que le contenu des « fiches » est tributaire de deux facteurs :

・    des éléments qui peuvent, ou ne peuvent pas, y figurer, de manière objective ;
・    des éléments qui peuvent, ou ne peuvent pas y figurer, en considération du but du fichage.
Il faut en outre ajouter que les trois catégories que nous avons évoquées plus haut ne sont pas soumises au mêmes éléments « fichables ».

A)  les éléments qui peuvent figurer dans les fiches.

Il y a une réelle continuité entre les dispositions antérieures et celles qui viennent d'entrer en vigueur. Mais le décret de 2008 emporte indéniablement une aggravation. Tout particulièrement, on lit que pourront être fichées les « informations fiscales et patrimoniales, les  déplacements et antécédents judiciaires ».

Il est vrai qu'au fil des précisions qu'est conduit à apporter le Ministère de l'intérieur on apprend, par exemple pour les informations fiscales ou patrimoniales qu'il s'agirait d'informations « figurant dans le domaine public ». On ne peut pourtant afficher qu'un grand scepticisme fasse à cette assertion : on ne peut aps considérer les bases de données des Tribunaux de commerce, les registres de la conservation des hypothèques, etc... comme des données du « domaine public » au sens strict.

De surcroît, il me semble que le décret contient une contradiction interne et un gros bug. : toutes ces données (idem pour les déplacements et les antécédents judiciaires) seront nécessairement collectées sur des sources qui sont elles mêmes des fichiers. Or, les dispositions finales du texte interdisant non seulement les interconnexions, mais même les « rapprochements » de fichiers. Dans ces conditions, toute fiche qui résultera d'un traitement autre que celui du fichier EDVIGE contiendra des informations illicitement collectées. Il y a là de toute évidence un gros bug.



B) les éléments qui peuvent figurer dans les fiches, en considération de la finalité du fichage.

Dans son grand esprit de protection des libertés publiques, le texte prévoit que lorsque le fichage concerne les « personnalités », certaines données ne peuvent être collectées que de manière « exceptionnelle ». Les rédacteurs ont dû beaucoup s'amuser en ajoutant cet adverbe. Je rappelle en effet que la CNIL a pu contrôler une fois en 20 ans le fichier des RG, et encore de manière très partielle, et que sinon, toutes les vérifications ont toujours été le produit de demandes individuelles portant donc sur une seule fiche. Dans ces conditions, il est particulièrement difficile de se faire une idée sur le caractère exceptionnel ou non des informations contenues dans les fiches. Cette précaution du texte est donc une aimable plaisanterie.

Pour le reste, il faut encore ici souligner que dès lors qu'on accepte le principe de ce type de fichier, il est fatal qu'il contienne des informations personnelles et sensibles. Pour ma part, pour les raisons déjà indiquées, j'ai plutôt tendance à être favorable à l'existence officielle de tels fichiers, mais à la condition expresse qu'il existe des procédures de gestion et de contrôle des données satisfaisantes.

Or, ici, de toute évidence, il n'en est rien.


3 – La gestion et le contrôle du fichage.

A) le refus du droit à l'oubli

Hormis dans le cas des « enquêtes administratives », les fiches, comme les diamants, sont éternelles : les informations qui figurent dessus ne seront jamais effacées.

Vous avez été scientologue, avez eu des soucis avec le fisc, avez fait un déplacement en Géorgie, avez été homosexuel (ou hétérosexuel), avez été l'heureux propriétaire d'une Ferrari, avez fréquenté des clubs échangistes ? Vous vous êtes livrés à certaines de ces activités alors que vous étiez mineur ? Et bien sachez que pourvu que quelqu'un ait estimé que vous pouviez mettre en cause l'orde public, ces informations sur vous pourront non seulement être collectées, mais encore conservées, toute votre vie durant...


B) Le refus du développement du droit de contrôle et de modification.

J'évoquais en commençant cette note l'excellent observatoire du fonctionnement de ce fichier que constituait le contentieux. Et bien je vous recommande vivement la lecture de cet arrêt qui nous raconte les épisodes contentieux (qui ne sont pas terminés) d'une personne qui pense qu'elle figure à tort dans les fichiers des renseignements généraux en raison d'une homonymie. Le Conseil d'Etat lui a donné raison, mais 10 ans après la saisine de la CNIL !

C'est dire que ce droit de contrôle (qui s'exerce de manière « médiatisée par l'intermédiaire d'un membre de la CNIL) est largement formel et n'a été institué que pour éviter le scandale d'un fichier fonctionnant sans contrôle dans une société démocratique.

Or, alors même que l'on renforce considérablement les informations contenues dans le fichier on notera que, corrélativement, on n'ajoute rien au système de contrôle et de protection des droits individuels. Cela manifeste bien la logique du texte.

En conclusion, il apparaît que cette nouvelle version du « fichier des RG », même si elle s'inscrit dans la continuité des précédentes, constitue une indéniable aggravation de la surveillance étatique sur les citoyens (et les non citoyens aussi, d'ailleurs).

Ce nouveau développement n'a été rendu possible que parce que les pouvoirs de la CNIL ont été réduits en 2004, avec l'assentiment, voire les encouragements de son actuel président.

Plus de fichages de sécurité, moins de garantie des droits. Oui, assurément, ce fichier progresse dans la voie de la « soft dictature », de celle qui ne laisse les libertés se déployer que dans l'espace privé et qui les contrôle depuis l'espace public.

 

Aussi, j'invite mes lecteurs à signer la pétition qui a été lancée.

Les commentaires sont fermés.