Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’immunité présidentielle confrontée à l’éventuel divorce de Nicolas et Cecilia Sarkozy.

C’est désormais un fait : la rumeur court sur l’éventuel divorce du couple présidentiel (j’espère que vous apprécierez le subterfuge consistant à transmuter une rumeur en fait, mais je ne suis pas le premier comme le rappelle Versac).

C’est désormais un fait : la rumeur court sur l’éventuel divorce du couple présidentiel (j’espère que vous apprécierez le subterfuge consistant à transmuter une rumeur en fait, mais je ne suis pas le premier comme le rappelle Versac).

 

Que l’on se place dans le conditionnel ou le futur simple, cette situation mérite, comme l’a déjà fait Jules de Diners room, de s’interroger sur les incidences qu’est susceptible d’avoir l’immunité présidentielle posée par l’article 67 nouveau de la Constitution sur cette procédure.

 

Car, au delà l'aspect people du sujet, cette question permet de montrer, à notre sens, le caractère absurde de la révision constitutionnelle adoptée au pas de charge au mois de février dernier. 

 

Commençons, si vous le voulez bien, par rappeler le texte de cet article, dans sa rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 février 2007.

 

Ce texte est ainsi rédigé : « 

 

« Art. 67. - Le Président de la République n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.

 

« Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.

 

« Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l'expiration d'un délai d'un mois suivant la cessation des fonctions. »

 

L’interprétation de ce texte est apparemment assez simple compte-tenu des travaux préparatoires de cette révision constitutionnelle, et notamment du rapport de Philippe Houillon, devant la commission des lois de l’Assemblée nationale, qui pose clairement que cette « immunité », vaut aussi bien en matière pénale qu’en matière administrative ou civile comme le montre cette citation :

 

« Quelle est l’étendue des actes qui sont exclus pendant le mandat ? Sont notamment visés les actes d’information, d’instruction et de poursuite, qui peuvent intervenir à la fois dans le domaine civil, pénal et administratif comme tend à le montrer la mention de l’impossibilité de demander devant toute juridiction ou autorité administrative – ce qui inclut notamment les autorités administratives indépendantes chargées d’un pouvoir de sanction à l’image de l’Autorité des marchés financiers (AMF) – que de tels actes soient accomplis. »

 

Ainsi, et sans qu’il soit besoin de disserter sur la liste des mesures que les juges ou autorités administratives ne peuvent pas réaliser, on peut se reposer sur l’idée simple que le Président de la république ne peut pas, durant son mandat être attrait devant quelque juridiction que ce soit pour quelqu’acte que ce soit.

 

Pourtant, ce caractère simple, et presque rustique, de l’interprétation qu’il convient de faire de cette disposition disparaît, dès que l’on est confronté à un cas pratique, et la question du divorce du chef de l’Etat en est un.

 

A notre sens, cinq séries de questions peuvent se poser.

 

 

1 – Cette immunité vaut-elle lorsque, comme c’est le cas en matière de divorce par consentement mutuel, le président est confronté à une « juridiction gracieuse » ?

 

 

On sait que le divorce par consentement mutuel (sur demande conjointe), relève de la juridiction dite gracieuse du Tribunal, dans la mesure où le critère matériel du contentieux : l’existence d’un litige, fait ici défaut.

 

Toutefois, et je suis sûr ce point en accord avec Jules de Diners Room, le fait que la procédure de divorce par consentement mutuel entre dans le champ d’application de la juridiction gracieuse ne permet pas de l’exclure du champ de l’immunité présidentielle car, aux termes des articles 10 et 27 du NCPC :

« le juge procède, même d'office, à toutes les investigations utiles. Il a la faculté d'entendre sans formalités les personnes qui peuvent l'éclairer ainsi que celles dont les intérêts risquent d'être affectés par la décision” ; “le juge a le pouvoir d'ordonner d'office toutes les mesures d'instruction légalement admissibles ».

 

Ainsi, même en matière gracieuse, des actes d’instruction de la nature de ceux visés par l’article 67 peuvent être mis en œuvre.

 

On pourrait, il est vrai, envisager la chose de manière concrète : tant que le juge ne procède pas à ses mesures, on est hors champ de l’article 67, et s’il entend y procéder, on entre dans le champ de l’article 67 et la procédure est suspendue.

 

Il nous semble toutefois que cette proposition heurterait la règle de l’unicité de l’office du juge : le juge ne serait compétent que s’il ne mettait pas en œuvre certains des pouvoirs qui lui sont légalement dévolus. Cela n’est tout simplement pas concevable.

 

 

2 – Le Président peut-il « renoncer » à son immunité ?

 

Compte tenu de la réponse précédente, cest sans doute la question la plus importante, et dans le contexte actuel, celle qui se pose avec le plus d’acuité.

 

Commençons par observer que cette renonciation pourrait prendre deux formes : soit ne pas soulever cette exception dans le cadre d’une procédure qui serait intentée contre lui, soit se présenter spontanément devant un juge (par exemple pour témoigner).

 

Si l’on raisonne de manière générale, il semble que les principes du droit public doivent conduire à estimer que l’immunité dont bénéficie le chef de l’Etat est « indisponible », et qu’il ne peut pas y renoncer.

 

Cette solution est acquise en matière d’immunité parlementaire, comme le rappelle Eugène Pierre :

« aucun représentant du pays n’a le droit de se dépouiller lui-même d’une garantie qui n’a pas été créée pour lui mais pour l’assemblée tout entière (Traité de droit parlementaire, N° 1063, dont J. Gicquel souligne qu’il s’agit d’une doctrine constante (Droit constitutionnel 12e. ed. 1993, p. 686, v. eg. sur ce point la bonne fiche de synthèse figurant sur le site de l’Assemblée Nationale). Dès lors que l’immunité dont bénéficie le chef de l’Etat est de même nature, on ne voit pas comment il pourrait en aller différemment : les débats qui ont eu lieu au moment de la révision constitutionnelle montrent bien que c’est d’abord la fonction qu’il s’agit de protéger, et non l’homme.

 

Mais on peut également envisager de raisonner, non pas de manière générale, mais en s’attachant à la lettre du texte de l’article 67 nouveau. Celui-ci est rédigé en n’envisageant que les hypothèses d’initiatives faites en direction du chef de l’Etat : « être requis », « faire l’objet ». On pourrait-être tenté d’en déduire une interprétation a contrario qui consisterait à dire que lorsque le Président de la République, volontairement, entre dans ces procédures, alors, il renonce, en application du texte, à l’immunité qui lui est conférée.

 

Cette interprétation ne nous paraît toutefois pas convaincante. En effet, il semble qu’il faille distinguer entre le témoignage et les autres mesures envisagées par l’article : le témoignage n’est prohibé que s’il est requis (et il est donc possible s’il est volontaire, ce point est d’ailleurs expressément souligné par Ph. Houillon). En revanche pour les autres mesures, la situation du Président de la République est purement objective : il fait l’objet, ou ne pas fait l’objet, desdites mesures, toute considération liée à sa volonté personnelle étant exclue.

 

Ainsi, et en dehors de l’hypothèse du témoignage, il semble bien résulter de ces développements que le Président ne peut pas renoncer à cette immunité.

 

 

3 – Le Président conserve-t-il le pouvoir d’agir en Justice ?

 

Cette question qui a déjà été évoquée, mérite pourtant qu’on s’y arrête quelques instants : est-ce que l’immunité empêche le chef de l’Etat d’agir en justice. Supposons, par exemple qu’il entende porter plainte contre une personne par exemple pour coups et blessure. Est-ce que l’instruction qui sera menée pourra être regardée comme entrant dans le champ d’application de l’article 67 (cet exemple pourrait-être transposé en matière civile, par exemple en cas de demande de divorce pour faute).

 

Pour notre part, nous hésitons beaucoup sur la réponse à donner : d’un côté l’immunité vise une fonction de protection, et n’interdit pas d’agir. D’un autre côté la personne actionnée par le chef de l’Etat se heurtera à des difficultés sérieuses dans la poursuite de l’instruction et ou du procès puisqu’aucun acte de procédure ne pourra être exercé en direction de son adversaire. Dans le contexte du respect du principe de l’égalité des armes cela paraît, pour le moins problématique. Au final, nous inclinons donc, en vertu des règles du droit au procès équitable, à exclure cette possibilité.

 

 

4 – L’immunité de l’article 67 est-elle conforme au droit de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme ?

 

Cette question, il est vrai est un peu provocante : comment peut-on imaginer que notre texte constitutionnel puisse méconnaître une norme dont le Conseil d'Etat a rappelé à maintes reprises qu’elle avait une valeur juridique inférieure (arrêt Sarran and co.).

 

Il reste que, dans l’ordre international, on le sait, il n’est pas possible de se retrancher derrière une norme, même de rang constitutionnel, pour échapper aux obligations qu’on a souscrites dans une convention internationale.

 

Il faut toutefois souligner que la Cour européenne des droits de l’homme adopte une attitude prudente face aux immunités juridictionnelles (v. not. F. Krenc, la règle de l’immunité parlementaire à l’épreuve de la CEDH, RTDH 2003, p. 813), estimant que ces immunités sont « légitimes » (CEDH 30 janvier 2003 Cordova, c. Italie). Ainsi, le terrain de la violation de l’article 6 relatif au droit au procès équitable est sans doute une impasse juridique.

 

On peut cependant estimer qu’il en va autrement de la méconnaissance des autres droits garantis par la Convention, qu’il s’agisse du droit au respect des biens (art1er du premier protocole additionnel) ou du droit à la vie familiale normale (art. 8 de la Convention EDH).

 

Si en effet l’immunité de juridiction conduit le Président à pouvoir affecter, sans mesure réparatrice, les biens d’une personne (par ex. en n’exécutant pas un contrat), ou sa vie familiale (par ex. après un divorce en ne respectant pas les règles relatives au droit de visite voir à la présentation d’enfants), il semble que ces droits seront indéniablement atteints.

 

Le cas du divorce est tout particulièrement important car si, pour les atteintes aux biens, une réparation pécuniaire peut-être envisageable, pour les atteintes aux droits de la personne c’est beaucoup moins évident : le développement harmonieux de l’enfant ne peut évidemment pas être réparé par la seule allocation d’une somme d’argent.

 

Aussi bien, il semble que le droit de la CEDH est susceptible d’emporter ici un certain nombre de conséquences, et en particulier de conduire à une condamntation de la France en cas d'atteinte à l'article 8 de la Convention.

 

 

5 – Peut-il y avoir des "arrangements" avec le droit ?

 

Si l’on s’en tient aux conclusions qui précèdent, on constate que l’immunité présidentielle touche bien le droit du divorce et qu’en principe il ne peut y renoncer. On constate également que le droit de la Convention EDH ne peut être que d’une efficacité limitée puisque pouvant seulement conduire à une condamnation de la France, et non pas au bénéfice concret du droit méconnu.

 

Autrement dit, l’impasse juridique est nettement constituée et le Président, en l’état des analyses qui viennent d’être développées ne peut pas divorcer.

 

Mais en même temps, d’un point de vue très concret, cette conclusion paraît absurde et contraire au bon sens.

 

On pourrait disserter sans fin sur l’intérêt de la révision constitutionnelle de l’article 67, sur la supposée qualité des textes brefs, qui ici n’a pas réglé des hypothèses importantes (rappelons notamment que la commission Avril avait préconisé une loi organique d’application qui n’a pas été retenue dans la version du texte adoptée).

 

Et lorsqu’une conclusion est à ce point absurde et contraire au bon sens, on peut imaginer que de « petits arrangements avec le droit » soient envisageables.

 

Nous passons évidemment ici du droit à la sociologie. Mais cela reste intéressant à analyser.

 

Ces arrangements, quels qu’ils soient, requièrent deux exigences.

 

La première, c’est un accord entre les parties. En effet, si une des deux parties refuse une solution amiable ou semi amiable, et saisit un juge, celui-ci ne pourra que constater l’existence et le caractère opérant de l’immunité.

 

La seconde, c’est, non point un accord, du moins une certaine bienveillance de la magistrature : si par exemple, un juge, saisi d’une demande d’homologation d’une convention de divorce par consentement mutuel, ne soulève pas l’exception, il faudra pour cela qu’il soit mû par une bienveillance naturelle, augmentée d’une argumentation juridique qui, à défaut d’être exacte, soit au moins crédible et susceptible de limiter la contestation médiatique.

 

En revanche, et spécialement en matière de divorce les tiers n’ont que très rarement intérêt à agir contre cette convention, de telle sorte que l’accord des parties et la bienveillance du juge suffisent à régler le problème.

 

Ainsi, et pour conclure, on peut dire que

 

1°) Le Président ne peut sans doute pas divorcer, quelle que soit la procédure employée, du fait de l’immunité qui découle de l’article 67 de la Constitution ;

 

2°) Pourtant, il y a tout lieu de penser que s’il accepte de divorcer, personne ne l’empêchera.

 

Chacun tirera des propositions contradictoires de cette conclusion les enseignements qu’il souhaite, mais en ce qui nous concerne, on ne nous enlèvera pas de l’idée que la révision constitutionnelle de l’article 67 a été particulièrement mal conçue et mal rédigée. Pourtant, mon petit doigt me dit qu’il est peu probable que la Commission Balladur suggèrera de l’amender…

 

Nota 1 : mon petit doigt me dit qu'un de mes éminents collègues qui avait soulevé cette questio bien avant tout le monde devrait publier ces jours à venir un article sur cette question dans la grande presse, lequel devrait aboutir à des conclusions très proches ;

 

Nota 2 : mon petit doigt n'est pas loin de penser que l'ouverture et la fermeture très rapide d'une enquête préliminaire relative à l'acquisition de certain appartement dans une île située entre  la Lutèce prétendue et la Lutèce avérée, pourrait être un moyen de "purger" une question qui aurait pu compliquer une procédure de la nature de celle évoquée plus haut. 

Les commentaires sont fermés.