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loi DADVSI : une inquiétante décision du Conseil constitutionnel (II)

Voici la suite de l'analyse de la décision du 27 juillet 2006 du Conseil constitutionnel. Je profite de cette nouvelle note pour réparer mes scandaleuses omissions de citation des très riches contributions de François sur le Blog Droit administratif  et de Jules de Diners' Room  qui avaient déjà très largement traité les questions que j'ai soulevées du point de vue du droit constitutionnel.

Voici la suite de l'analyse de la décision du 27 juillet 2006 du Conseil constitutionnel. Je profite de cette nouvelle note pour réparer mes scandaleuses omissions de citation des très riches contributions de François sur le Blog Droit administratif  et de Jules de Diners' Room  qui avaient déjà très largement traité les questions que j'ai soulevées du point de vue du droit constitutionnel.

 

 2°) Sur le pouvoir du juge constitutionnel

Dans un domaine tout à fait différent, la décision commentée apparaît également très critiquable. C’est celui du pouvoir du juge constitutionnel de découper la loi « en petits morceaux » au point d’aboutir à un résultat très lointain de la volonté de la législateur.

Rappel (issu du texte de la décision lui-même) : « les articles 22 et 23 de la loi déférée insèrent dans le code de la propriété intellectuelle les articles L. 335-3-1 et L. 335-4-1, ainsi que les articles L. 335-3-2 et L. 335-4-2 ; que les deux premiers de ces articles incriminent les actes qui portent atteinte aux mesures techniques destinées à empêcher ou à limiter les utilisations d'une oeuvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin ; que les deux autres articles répriment l'altération des informations relatives au régime d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin et la diffusion d'objets protégés dont un élément d'information a été altéré ; que certains de ces agissements ne sont pas punissables s'ils sont commis à des fins de " recherche " ; que les huitièmes et derniers alinéas des articles 22 et 23 prévoient que ces dispositions ne sont pas applicables aux actes réalisés à des fins d'" interopérabilité ".

La disposition législative, comme on le sait était une des plus importantes de la loi. Elle visait à pénaliser les « déverouillages » de DRM (pour reprendre l’expression majoritaire) ou des « mesures techniques de protection », pour parler comme le texte. Mais, le législateur n’avait adopté cette disposition que sous la réserve que soit garantie « l’interopérabilité », c’est à dire notamment qu’une mesure de protection qui empêche de copier un fichier issu du site de la marque A. sur un appareil de la marque S. puisse être contournée. Il n’est pas utile de rappeler ici combien cette exigence d’interopérabilité était au cœur des débats et que le texte n’avait été accepté politiquement que parce qu’il ménageait cette ouverture contre les système propriétaires des fournisseurs de fichiers et de matériel.

Or, le Conseil constitutionnel, estimant que cette notion d’interopérabilité était trop floue, supprime, ce seul membre de phrase tout en maintenant le principe de l’incrimination.

C’est un des éléments importants qui a conduit l’ensemble des commentateurs de la décision à souligner que l’effet de la décision du Conseil est de durcir la loi, alors pourtant que le but du législateur et davantage encore celui des saisissants était de limiter le contour de l’infraction.

Si l’on souhaite dépasser cette impression très psychologique de « retour de bâton » que donne ainsi la décision, pour avancer sur un terrain plus juridique, ce qui est ici en jeu, c’est bien entendu la question des limites du pouvoir du juge constitutionnel face au texte qui est soumis à son examen.

Sans vouloir remonter refaire ici l’ensemble de la théorie des pouvoirs des juges, on soulignera toutefois qu’il s’agit ici d’une illustration de la difficile limite à établir entre un juge qui n’a que le pouvoir d’annuler un acte et celui qui a au contraire le pouvoir de le « réformer », pour reprendre la terminologie du contentieux administratif.

Le juge administratif, qui a de longue date été confrontée à cette question a toujours adopté une attitude très empreinte de « self-restraint » face à l’administration : Dans les cas où ils ne dispose que d’un pouvoir d’annulation, le juge administratif répugne à admettre la divisibilité des normes ou des décisions qui « forment un tout », en particulier parce que dans le cas inverse il serait finalement conduit à donner au texte ou à la décision un équilibre différent de celui qui était voulu par l’administration qui l’a édicté (la plus belle analyse sur ce point est celle de B. Genevois dans ces conclusions sur CE Ass. 20 novembre 1981, Association pour la protection de la vallée de l’Ubaye, RDP 1982, p. 473).

Cela ne l’empêche pas, naturellement, de prononcer des annulations partielles de textes réglementaires contenant plusieurs normes, ou le cas échéant des annulations d’une partie d’une norme, mais en ce dernier cas, surtout lorsque les droits des administrés sont affectés (on pourra nous objecter que notre vision du pouvoir d’annulation partielle est assez lénifiante et que l’on trouve des arrêts plus rigoureux. Nous n’en disconvenons pas mais souhaitons simplement montrer ici ce qui nous apparaît comme une tendance majoritaire de la jurisprudence).

Le juge constitutionnel est, aux termes de l’article 61 de la Constitution, un juge dont les pouvoirs sont très proches de celui du juge de l’annulation (il a le pouvoir de « déclarer inconstitutionnelle » des « dispositions ») et ne s’étendent pas à la réfection ou à la réformation de la loi soumise à son contrôle, laquelle reste du ressort du législateur.

Il était donc normal qu’il soit, comme le juge administratif, soumis à la question du pouvoir d’annulation partielle de la loi. Et il y a répondu en utilisant la même notion que le juge administratif, même s’il lui donne un autre intitulé : c’est la « séparabilité » des dispositions contrôlées, entre celles qui sont conformes à la Constitution et celles qui ne le sont pas.

Comme le juge administratif, donc, le juge constitutionnel a été conduit à se demander quand la séparabilité était constituée et quand elle ne l’était pas. Mais, pour ce faire, il a dû construire des outils différents du juge administratif : là où le Conseil d’Etat préfère annuler entièrement, et laisser à l’administration le soin d’édicter une décision nouvelle complète, le juge constitutionnel a privilégié une plus grande séparabilité car il est difficilement justifiable, en terme de légitimité face au législateur de « cibler large » les dispositions censurées. Il suit donc, dans ce domaine, la même philosophie que lorsqu’il invente la technique des « réserves d’interprétation » qui lui permettent là encore d’éviter une censure de la loi.

Cependant, si le juge constitutionnel a une conception plus ouverte de la « séparabilité » que le juge administratif, il n’en reste pas moins certaines limites. Celles-ci sont au nombre de deux.

Tout d’abord l’inséparabilité des dispositions peut résulter du texte lui-même : ainsi, lorsqu’une disposition « principale » est censurée, cette censure s’étend aux dispositions « accessoires » (CC 19 juillet 1983, n° 83-162 DC). Plus généralement c’est lorsque la cohérence normative ne serait pas assurée que cette l’inséparabilité est prononcée sur ce fondement.

Ensuite, l’inséparabilité peut résulter non pas directement du texte mais de la volonté du législateur, telle qu’elle s’exprime au travers des débats parlementaires. Le Conseil l’a affirmé très tôt (CC 12 mars 1963, décision 63-21 DC) et depuis lors l’a appliqué à de nombreuses reprises (v. not. CC 5 mai 1998, décision 98-399 DC).

Or, dans la présente décision, le Conseil constitutionnel ne s’interroge même pas sur le point de savoir si les dispositions censurées (la réserve d’interopérabilité) était inséparable du reste des dispositions créant des incriminations pénales spéciales au dévérouillage des « DRM ». Pourtant, comme le montre lés débats au Sénat, aussi bien le gouvernement que les parlementaires ne considéraient l’incrimination pénale nouvelle comme équilibré que parce qu’elle comprenait cette réserve (http://www.senat.fr/seances/s200605/s20060510/s200605100.... Dans ces conditions, il paraissait logique de concevoir cette réserve comme indissociable de l’incrimination prise dans son ensemble.

On nous objectera sans doute que si le Conseil avait admis cette inséparabilité il aurait, de manière symétrique, rompu l’équilibre voulu par les parlementaires majoritaires et qui supposait l’introduction de sanctions pénales pour protéger les DRM.

Nous n’en disconvenons pas mais, il nous semble qu’il est dans la logique du principe de la « nécessité des peines » de ne pas étendre une incrimination pénale au delà de la volonté du législateur et que c’est donc la restriction de l’incrimination (ou sa suppression) qui doit primer sur son extension, lorsqu’une question comme celle-ci se pose. Il nous semble qu’il y a là une logique profonde de tout notre système de droits et libertés.

Au terme de ce raisonnement, il apparaît donc que par cette décision, sans motivation particulière, le Conseil constitutionnel s’est livré à une opération doublement critiquable et menaçante :

-         il a joué une partition résolument contraire à la volonté du législateur sur l’inséparabilité de l’incrimination pénale et de son exception ;

-         dans le doute, il a privilégié l’extension de la répression pénale sur sa limitation ou sa suppression.

 

Là encore, disons le tout net, cette décision nous paraît très menaçante pour la justice constitutionnelle ainsi que pour notre système de protection des droits et libertés.

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